Niger. Plus de cent Soudanais expulsés vers la Libye sont dans une situation critique et risquent de subir de graves abus, y compris la torture

Plus de cent Soudanais arrêtés au Niger risquent de subir de graves abus, notamment d’être détenus de façon illégale et dans des conditions très éprouvantes et soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, souvent à des fins d’extorsion, à la suite de leur renvoi en Libye la semaine dernière, a déclaré Amnesty International.

Ces quelque 145 personnes, dont des femmes et des enfants, avaient fui la Libye en raison des brutalités qu’elles y subissaient, et elles vivaient dans un camp de personnes déplacées de la ville d’Agadez, au Niger, où elles espéraient pouvoir déposer une demande d’asile.

Le 2 mai, les autorités nigériennes les ont rassemblées, entassées dans des camions, et les ont reconduites à la frontière libyenne. Les autorités ont confirmé cette expulsion, indiquant qu’elles y avaient procédé parce que ces personnes n’étaient pas « des réfugiés mais d’éventuels membres d’un groupe armé » présent en Libye, et qu’elles représentaient donc une menace pour la sécurité du pays.

« En renvoyant ces personnes en Libye contre leur gré, les autorités nigériennes ont violé le principe même de l’asile et de la protection des réfugiés, a déclaré Gaetan Mootoo, chargé de recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« La Libye n’est tout simplement pas un pays sûr. Nos recherches montrent que les migrants et les réfugiés y sont soumis à la torture, à la détention et à l’extorsion. Les autorités doivent permettre à ces personnes de retourner au Niger conformément à leurs obligations découlant de la Convention relative au statut des réfugiés, et collaborer avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés afin de trouver pour elles une solution garantissant leur sécurité. »

Amnesty International s’est entretenue, à Agadez, avec un ressortissant soudanais qui a réussi à échapper à l’expulsion après avoir été arrêté avec ce groupe de personnes. Il est resté en contact avec certaines d’entre elles par téléphone et a confirmé qu’elles ont été conduites en Libye. Il a déclaré :

« Quand nous sommes sortis de la mosquée au crépuscule le 2 mai, la police nous attendait. Ils nous ont tous emmenés au commissariat d’Agadez, où nous avons passé la nuit. Nous étions 145 hommes et quatre familles avec un enfant d’environ 10 ans. Nous avons passé quatre nuits en prison […] Ils les ont emmenés en Libye. J’aurais dû me trouver avec eux, mais j’ai réussi à me sauver. Hier, à trois heures du matin, l’un des expulsés m’a appelé. Ils se trouvent actuellement à la frontière entre la Libye et le Niger. Le secteur est totalement désert et cela fait maintenant cinq jours qu’on les a laissés au milieu de nulle part. »

Les autorités au Niger ont confirmé que les ressortissants soudanais ont été reconduits à la frontière avec la Libye, ajoutant : « Ces personnes n’ont pas respecté la législation et les règles en vigueur dans le pays », et : « Elles représentaient une menace pour la sécurité du pays. »

Au cours des cinq dernières années, plusieurs milliers de réfugiés et de migrants ont traversé le Niger pour se rendre en Libye et en Algérie. Fin 2017, quelque 2 000 Soudanais sont arrivés à Agadez. Certains d’entre eux venaient de camps de personnes déplacées au Soudan et de camps de réfugiés au Tchad, et d’autres revenaient de Libye.

Un autre Soudanais qui a échappé à un renvoi forcé en Libye a expliqué à Amnesty International qu’il était allé en Libye pour y trouver du travail. Mais quand il est arrivé dans le pays, il a été arrêté en même temps que 50 autres personnes, et détenu pendant six mois dans des conditions épouvantables. Il a déclaré :

« On me battait tous les jours, parfois avec un bâton. J’étais obligé de travailler et de creuser le sol. Ils voulaient de l’argent et ils m’ont demandé d’appeler ma famille. Je n’avais personne à appeler. J’ai vu les autres qui se trouvaient avec moi être battus, et certains sont morts des suites de leurs blessures ou à cause de maladies.  Au bout de six mois, ils m’ont laissé partir […] J’ai ensuite [essayé de trouver] la sécurité, mais partout où j’allais il n’y en avait pas. J’ai trouvé un gros véhicule qui partait pour le Niger et qui transportait des marchandises. Je suis monté dans ce véhicule et je suis parti pour le Niger, où je me trouve depuis 2014. »

« Le renvoi en Libye de personnes qui risquent fortement d’y être torturées constitue un dangereux précédent, a déclaré Gaetan Mootoo.

« Les autorités au Niger doivent veiller à respecter leurs obligations internationales aux termes desquelles elles sont tenues de protéger les droits de tous les réfugiés et migrants, et de faire en sorte qu’ils ne soient pas exploités ni soumis à d’autres abus. »

Pour obtenir de plus amples informations ou organiser un entretien, vous pouvez prendre contact avec le Service de presse d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et centrale à Dakar, au Sénégal : +221 77 658 62 27 ou sadibou.marong@amnesty.org ; Twitter : @amnestyWaro