La Zambie est-elle déterminée à honorer l’engagement de l’Union africaine à lutter contre la corruption ?

Par Netsanet Belay, directeur de la recherche et du plaidoyer pour l’Afrique à Amnesty International

Il y a environ neuf mois, le 29 septembre 2017, six défenseurs des droits humains et militants ont organisé une manifestation pacifique devant le Parlement à Lusaka, pour exiger des explications du gouvernement quant à l’achat controversé de 42 véhicules de pompiers en 2015, pour un total de 42 millions de dollars. Les Zambiens ont dénoncé la procédure d’acquisition et le prix des véhicules. De nombreuses personnes se sont indignées du prix exorbitant et ont considéré cet achat comme une mauvaise utilisation de fonds publics dans un pays où des millions de personnes vivent dans la pauvreté.

Parmi les militants ayant participé aux événements de cette journée cruciale de septembre 2017 figurait Fumba Chama, un musicien et artiste de renom également connu sous le nom de Pilato. Les militants s’étaient tout juste rassemblés lorsque la police les a pris d’assaut, recourant à une force excessive. Les militants ont été frappés, arrêtés et inculpés de « désobéissance à un ordre légitime » au titre du Code pénal zambien. Ils ont ensuite été libérés sous caution dans l’attente de leur procès. Pilato a par la suite fui le pays au début de l’année 2018, après avoir reçu un message vidéo dans lequel des sympathisants du parti au pourvoir menaçaient de le frapper en raison de la chanson à succès intitulée Koswe Mumpoto (« un rat dans la marmite »), critiquant l’élite au pouvoir. Lorsqu’il ne s’est pas présenté à l’audience de février, un mandat d’arrêt à son encontre a été émis. Quand il est rentré en Zambie le 16 mai, des policiers l’attendaient à l’aéroport international Kenneth Kaunda et l’ont immédiatement arrêté. Il a été libéré sous caution par la suite.

Le procès de Pilato et des cinq autres manifestants a commencé le 25 juin 2018 à Lusaka, le même jour que l’ouverture du 31e sommet de l’Union africaine à Nouakchott, en Mauritanie. Cette coïncidence est d’une ironie dérangeante. Pendant que l’accusation essaiera de monter un dossier contre Pilato et ses coaccusés, des dirigeants de tout le continent étudieront et discuteront de la thématique fixée cette année par l’Union africaine : « Lutter contre la corruption : une voie durable vers la transformation de l’Afrique ». Compte tenu des récents événements dans le pays, la contribution de la délégation zambienne à ces discussions reste incertaine. Il est clair qu’à l’échelle nationale, la Zambie s’efforce de lutter non pas contre la corruption, mais contre les personnes qui appellent à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes en ce qui concerne l’utilisation et la gestion des fonds publics, autrement dit contre les personnes que les autorités devraient soutenir et autoriser à participer à la lutte contre la corruption si elles souhaitent réellement la combattre efficacement.

De toute évidence, le procès qui s’est ouvert le 25 juin est une tentative cynique de faire taire les personnes en tête de file de la lutte contre la corruption en Zambie et de dénigrer leurs actions. La remise en question de la procédure d’acquisition des 42 véhicules reflète les inquiétudes quant à une corruption plus ancrée ou généralisée dans le pays. En 2017, le Centre de renseignements financiers de Zambie a estimé que l’évasion fiscale, la corruption, le blanchiment d’argent et la fraude représentaient une perte de 450 millions de dollars. Parmi les affaires concernées, 39 % étaient des affaires de corruption et nombre d’entre elles concernaient des contrats d’acquisition dans lesquels étaient impliqués le gouvernement et des organismes très liés au gouvernement.

Le procès de Pilato et des cinq autres manifestants révèle également un autre problème plus grave : la réduction de l’espace dédié au droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association en Zambie. Dernièrement, des tentatives honteuses de réduire au silence les voix dissidentes ont été menées. Des personnes critiquant le gouvernement ont été contactées et menacées de manière anonyme. Des rassemblements pacifiques ont été interrompus et dispersés par la police, souvent au moyen d’une force excessive. L’objectif de ces actions déplorables est d’empêcher la population de demander des comptes au gouvernement.

Alors que la Zambie participe aux discussions sur le thème de fixé cette année par l’Union africaine, le pays doit réfléchir à sa propre détermination à respecter l’engagement pris à l’échelle du continent de prévenir et combattre la corruption. Le gouvernement renforce-t-il ou entrave-t-il cet engagement ? Est-il même réellement déterminé à l’honorer ? Une réponse honnête à ces questions devrait pousser le gouvernement à se souvenir de ses obligations au titre la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, que la Zambie a ratifiée en mars 2007. Au titre de cette convention, la Zambie s’est engagée à respecter plusieurs principes, notamment celui de « respecter les droits de l’homme et des peuples, conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents concernant les droits de l’homme » et de « promouvoir la transparence et l’obligation de rendre compte dans la gestion des affaires publiques ». Au regard de ces engagements, le gouvernement doit changer de ligne de conduite. Il doit respecter les droits des personnes qui dénoncent la corruption. Il doit garantir, promouvoir et respecter le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Et dans l’immédiat, il doit abandonner sans condition toutes les charges retenues contre Pilato et les cinq autres manifestants.

Ce n’est qu’en respectant les principes établis par l’Union africaine en ce qui concerne la lutte contre la corruption que la Zambie pourra réellement jouer un rôle dans les efforts visant à éradiquer la corruption sur le continent africain.