Kenya. L’éducation a ravivé mes espoirs, la bureaucratie les a ruinés Iragi Buhendwa, un réfugié congolais ayant grandi au Kenya

AMNESTY INTERNATIONAL
ARTICLE
20 juin 2019
AILRC-FR

En tant que réfugié, j’ai perdu énormément : ma famille, mes amis, mon chez-moi. J’essaie
d’accepter la situation et d’aller de l’avant mais ce n’est pas facile. J’ai obtenu mon diplôme
universitaire et j’attends depuis 12 mois les documents m’autorisant à travailler au Kenya. J’y vis
depuis plus de 20 ans et j’y ai fait mes études. Maintenant que je peux enfin être autonome, le
système de ce pays qui est devenu le mien contrarie tous mes projets.

Je n’avais que neuf ans en 1999, lorsque je suis arrivé de la République démocratique du Congo
(RDC). Dès le départ, quelque chose n’allait pas. Dans un premier temps, j’ai dû suivre les cours à
domicile pour m’intégrer à mon nouvel environnement. Mon enseignant, également réfugié de la
RDC, était bon en français et en anglais car il était installé au Kenya depuis beaucoup plus longtemps.
Je me sentais vide mais mes séances avec lui ont rapidement commencé à orienter ma vie et à
raviver mes espoirs.

J’ai fini par intégrer l’école primaire et la perspective d’apprendre quelque chose de nouveau chaque
jour comblait le vide en moi. L’éducation a donné un sens à ma vie et l’école est devenue mon
sanctuaire. Avec l’aide d’une fondation locale, j’ai pu aller au lycée à Nairobi. À ce moment-là, j’ai été
enregistré officiellement en tant que réfugié au Kenya. J’ai eu beaucoup de chance. De nombreux
réfugiés attendent des années rien que pour avoir un rendez-vous et présenter leur cas. Après
l’école, j’ai décroché une bourse de premier cycle pour étudier à Daystar, d’où je suis sorti diplômé
en juillet 2018 ; j’avais très bon espoir de trouver un emploi dans les droits humains. J’ai toujours
voulu un travail qui favorise l’estime de soi et le développement humain.

Après mes études, la réalité de ma situation de réfugié m’a frappée de plein fouet. Je croyais que ma
précieuse carte de réfugié avait de la valeur. Avec ma créativité, ma spontanéité, mon aptitude à
résoudre les problèmes et ma carte de réfugié, j’étais prêt pour le marché du travail. J’étais loin de
me douter que les employeurs rechignent à soutenir la demande de permis de travail d’un réfugié.
J’ai entendu des récits décourageants de la part d’autres réfugiés ; l’un avait raté deux emplois à
cause de retards inexpliqués dans le traitement de sa demande.

Mon parcours du combattant a débuté lorsque j’ai décroché un stage offrant des indemnités
journalières de subsistance. Pour être payé, il me fallait un permis de travail et un numéro
d’identification personnel de l’administration fiscale kenyane. Ma demande de permis de travail s’est
perdue entre le Secrétariat aux réfugiés et le Département de l’immigration. Après plus de deux mois
de démarches, j’étais confus et frustré ; j’ai baissé les bras. Cela fait maintenant un an et l’absence de
revenus se fait cruellement sentir. Je redoute de déposer une nouvelle demande car les critères se
sont durcis à cause de la répression des étrangers « en situation irrégulière » qui a commencé en
septembre dernier.

Tout à coup, je me suis senti en décalage total. Je dois franchir toutes sortes d’obstacles – pour le
permis de travail, l’emploi et les services financiers. Pour compliquer encore les choses, des

modifications apportées à la législation financière en 2016 et 2017 interdisent aux réfugiés d’utiliser
les documents du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et les obligent à
disposer d’un numéro d’identification personnel pour se servir du système de transfert d’argent par
téléphone portable M-pesa et gérer un compte bancaire. Tenter d’obtenir un permis de travail
revient à courir après le vent mais, sans ce document, je ne peux pas obtenir le numéro fiscal
obligatoire.

Le Kenya m’a généreusement accueilli. Cependant, il prétend intégrer les personnes réfugiées dans la
société alors que celles-ci continuent à lutter pour obtenir les autorisations les plus élémentaires qui
leur permettraient d’être des membres plus productifs de la société. J’ai travaillé dur à l’école pour
pouvoir être autonome mais tout cela semble utopique. Il faut que quelqu’un m’aide.
Cet article a été publié initialement par The Star.